Enfance et jeunesse de Jacques et de Monique
Jardins d'enfance
En face de la maison de mon enfance en Haut Poitou, près d’un parc où La Fontaine venait rendre visite à sa cousine, j’ai vu le père d’un de mes voisins, architecte, planter avec beaucoup de soin un splendide bambou. Il l’avait prélevé dans le jardin paternel, sur le bord de la Vienne, et ramené dans sa DS rue de la Renaîtrie en le courbant. Quelques années plus tard celui-ci s’est échappé dans un terrain sauvage. Avec mes amis d'enfance , nous nous amusions à construire des cabanes derrière les haies de bambous et les cerisiers ‘cœur de pigeon’. Ce havre de paix fut le creuset de mon rêve de nature et de jardins. Il était bien différent de l'écrin intime et poétique que seul je pouvais visiter les soirs d’été avec Mme Boesch. La voix de cette grand-mère au regard aimant m'envoûtait lorsqu'elle parlait de ses volubilis. Le sifflement de "lis" est toujours resté un rappel sensoriel agréable comme l'était le parfum des madeleines de Proust ! Il était bien différent du jardin bien ordonné de mes parents...
Ce souvenir ne s’est jamais évanoui : une des premières plantations dans notre propriété de La Mancelière, sur le territoire de Venansault en Vendée, se fit avec une division du bambou de mon enfance. Aujourd’hui c’est le plus grand bosquet de notre parc : il s’agit d’un Phyllostachys viridiglaucescens qui atteint désormais 12 mètres de haut avec des chaumes de plus de 5,5 cm de diamètre.
C'est lors de mes études à Poitiers que j'ai eu la chance de rencontrer Monique et nous jardinons depuis notre mariage en ... 1970. Elle préparait le CAPES pour enseigner l'allemand. Comme je ne savais pas ce que j'allais prendre comme orientation professionnelle, par défaut ce fût Droit. Et pour évoluer je me suis investis dans un master de Science Politique avec un sujet malheureusement toujours d'actualité sur la descente aux enfers de la Birmanie après son indépendance. Résulats : Monique enseignera l'Allemand et Jacques... sera embauché comme cadre dans les ressources humaines au Crédit Agricole!
Monique est née à Limoges (1948 comme moi). Ses grand-parents vivaient à Saint Léonard de Noblat à la ferme sur les bords de la Vienne puis de travaux de charpenterie. Elle a toujours apprécié la vie à la campagne. Après le bac elle a réussi ses études d'allemand et a été très tôt professeur d'allemand dans des collèges et lycée en Deux-Sèvres où sont nés nos 2 garçons. Elle a vraiment la main verte. Sa spécialité : le jardin potager, les plantes condimentaires. Elle a contribué à faire évoluer considérablement les jardins du Loriot sur le plan floral. C'est une grande amatrice de roses, d'hortensias, de Fuchsias... et elle a su m'ouvrir à l'univers magique des fleurs : camélias, azalées, rhododendrons...
Le choix de la Vendée
Lorsque j’étais enfant, mes parents venaient planter une tente dans les pins de La Grière près de La Tranche-sur-mer. Toute une aventure ! Imaginez aller du Haut Poitou en Bas Poitou sur la banquette arrière de la fourgonnette Juva4, assis sur la couverture « Kriegsmarine » (mauvais souvenir ramené lors de sa libération de captivité par mon père), sans visibilité aucune sur le paysage. Mais à l’arrivée, quelle récompense de découvrir la beauté de la côte vendéenne si sauvage à l'époque !
Près de vingt ans après, en me rendant à St Maixent l'Ecole (où j'accomplissais mon service national en tant que sursitaire) en auto-stop, mon pilote qui venait de La Roche-sur-Yon, séduit peut être par le képi d'enseignant, réveilla en moi les bons souvenirs que j’avais de la Vendée. En après les sélections de recrutement dans la fonction gestion des ressources humaines dans une grande banque, avec Monique, nous avons fait le choix de vivre en Vendée et de faire construire une nouvelle maison à environ 10 km de la Roche-sur-Yon sur une parcelle de 6000 m² pour faire un jardin. Suite à une importante opération de remembrement en 1997 nous avons pu regrouper des parcelles de bocage que nous avions achetées pour notre retraite juste à côté de notre maison.
Autrefois, la propriété correspondait à un assemblage de parcelles bocagères appartenant à différentes fermes. Le cadastre napoléonien indique que ces parcelles existaient comme telles en 1842. Une partie était alternativement pâturée ou emblavée, en revanche tout le reste était constitué de terres peu propices au pâturage car trop humides. En évitant au maximum de supprimer les haies bocagères, nous avons fait creuser dans la partie centrale un étang d’un peu plus d’un hectare en 1988 . A partir de 2002 nous avons entrepris les aménagements des différentes parcelles : drainage, réseau d’arrosage, empierrement de chemins, ensemencement, creusement de nouvelles pièces d’eau avec le souci de préserver la flore indigène, en pratiquant une culture raisonnée faisant usage a minima des produits phytosanitaires.
C’est à cette époque que nous avons visité pour la première fois la Bambouseraie de Prafrance. Je n’ai pas eu la chance d’y arriver à 2 heures du matin en calèche, comme Jean Houzeau de Lehaie, pas plus que d’écouter craquer les gaines caulinaires dans les bosquets de Phyllostachys edulis de feu Mazel ni de mesurer la pousse phénoménale des jeunes chaumes avec un clinomètre – mais le spectacle de l’allée emblématique des Ph. viridis a éveillé une irréductible mais saine passion pour les bambous.
La passion des bambous...
« Je raffole de la botanique : cela ne fait qu`empirer tous les jours. Je n`ai plus que du foin dans la tête ; je vais devenir plante moi-même un de ces matins. »
Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, Lettre à M. d`Ivernois, Motiers, 1er août 1765.
L'idée de rassembler une collection personnelle, en relation avec un réseau européen d'amateurs éclairés nous a conduits assez rapidement à valoriser les prairies naturelles de notre propriété en y introduisant progressivement 130 taxons de bambous rustiques ou semi-rustiques.
Au fil des ans, l’idée a cheminé d’associer les plants de bambou à d’autres plantes (exotiques ou indigènes) pour faire apprécier les variétés des bambous dans des massifs composés avec des vivaces et arbustes du monde entier (Himalaya, Chine, Japon, Tasmanie, Afrique du Sud, Chili, Argentine et continent nord américain).
Nos recherches sur les bambous nous ont amenés à découvrir, notamment, le rôle du naturaliste Jean Houzeau de Lehaie, pionnier de leur introduction en Europe et premier auteur d’une systématique des bambous au début du XXe siècle. Au fil de nos investigations sur les parcs et jardins de bambous, nous avons eu l'occasion de rencontrer son petit-neveu et de visiter le parc familial de l’Ermitage, à Mons (Hainaut) en Belgique en 2007. La consultation de ses écrits, aquarelles et dessins, la visite des vestiges de son Bambusetum, sa manière de planter ses bambous dans le parc familial nous a conforté dans notre façon de concevoir les Jardins du Loriot.
L'idée d'un jardin ouvert au public
Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait.
Mark TWAIN
Au fils du temps, nous avons conçu notre jardin pour un public d' amateurs de plantes attirés principalement par leur beauté ou pour les personnes qui souhaitent tout simplement passer un moment de calme, de détente, et d’agrément … les références à l’histoire et aux relations de Jean Houzeau de Lehaie sont en filigrane dans le parc, d’autres associations seront faites et permettront une autre perception de l’aménagement du parc : ainsi en consultant les archives de l’Ermitage, nous avons découvert qu’en 1907 Jean a rencontré Sir Dietrich Brandis quelques mois avant la parution d’ « Indian trees » et de son décès. L’année suivante Jean est venu rendre visite à sa veuve, Lady Katharina à Bonn. Sa correspondance et l’amitié qui s’est nouée entre la famille Houzeau et Katharina nous ont donné l’occasion de rencontrer le Dr Ursula Brandis à Bonn. L’œuvre botanique et agroforestière de Sir Dietrich ainsi que les extraordinaires aquarelles de Lady Katharina nous ont conduits à dédier plusieurs bosquets à ce couple.
L’idée a donc fait son chemin d’ouvrir notre parc au public dans la perspective d’une reconnaissance sur le plan esthétique, botanique, culturel et touristique... dans une région où le bambou est peu représenté. C’est aussi l’occasion de rencontres conviviales : récemment nous avons eu plusieurs fois la visite d’une vietnamienne, créatrice d’un éco-parc de bambous au Vietnam et d’un Birman marié avec une vendéenne.
Pourquoi les Jardins du Loriot ?
Lorsque nous sommes arrivés au printemps 1975 à La Mancelière, un des agriculteurs du village nous informa que tout autour de notre propriété entre mai et août le loriot revenait chaque année. C'est très joli nous dit-il mais on ne le voit presque jamais car il se trouve en haut des arbres. En revanche on reconnaît sa présence à son chant. Effectivement nous ne l'avions jamais vu mais nous entendions bien son chant caractéristique (
tiu tiu lio ou fidelio). Ce n'est qu'à Pâques 1992 que nous avons aperçu pour la première fois un loriot mâle avec sa belle livrée jaune d'or sautillant sur les frondaisons des chênes à l'entrée de notre maison. Puis en août de la même année, nous avons aperçu trois petits loriots reconnaissables à leurs robes plus vert-jaune pour les femelles et comme celle du père pour le fiston.
Depuis ce temps nous avons prêté beaucoup plus d'attention à cet oiseau. Ainsi nous avons appris qu'il est d'origine africaine. Il quitte l'Afrique pour venir se reproduire en Europe. Et Buffon dans son « Histoire naturelle des Oiseaux » relate que ce passereau vient dans nos contrées « pour faire l’amour ». Il commence son article ainsi « On a dit des petits de cet oiseau qu'ils naissaient en détail et par parties séparées, mais que le premier soin un père et mère était de rejoindre les parties et d'en former un tout vivant par la vertu d'une certaine herbe. La difficulté de cette merveilleuse réunion n'est peut-être pas plus grande que celle de séparer avec ordre les noms anciensque les modernes ont appliqués confusément à cette espèce… . Le tour de magie opéré par le loriot serait-il plus aisé, que le travail de taxonomie des ornithologues ou des botanistes ?
Cette année, la femelle a construit une nacelle suspendue entre deux branchettes, non plus près de la peupleraie, mais dans un chêne situé en plein milieu du parc ; le lieu est savamment choisi, il n'est pas éloigné de nos trois cerisiers et du verger. Le régime alimentaire du passereau est composé d'insectes mais aussi de fruits, notamment de cerises. Ce goût pour les fruits s'accentue en fin d'été. Depuis de nombreuses années, nous ne pouvons plus manger une seule cerise !!! Mais les loriots ne peuvent être tenus entièrement responsables de cette consommation, il y a les grives, les geais (selon les années) et les merles ! Tout ce petit monde nous le rend bien : écouter le Fidelio d'un loriot c'est un bonheur, imaginer qu'il revient nous voir avec fidélité est touchant, admirer le plumage d'un geai, quel ravissement malgré toutes ses chamailleries, se réveiller avec le chant d'un merle siffleur nous met de bonne humeur... alors tant pis pour les cerises, nous nous rattraperons sur les framboises !
L'aire de mobilité quotidienne de notre couple de loriots s'étend approximativement sur une dizaine d'hectares basée en grande partie sur le parc. L'idée s'est faite naturellement de baptiser nos espaces paysagers "Les Jardins du Loriot".
Un Jardin naturel
La gestion raisonnée et différenciée des espaces paysagers est un de nos objectifs-clés : nous introduisons des plantes venant de différents continents, mais dans un souci d’équilibre nous souhaitons préserver des espaces naturels (flore, faune, sol). Ainsi nous souhaitons faire cohabiter des espaces non-fauchés, sauvages, où poussent des plantes indigènes (ex : en mai des milliers d’orchis fleurissent dans le pré dit du Grand-pâtis) avec des espèces plus horticoles et rapportées. Cette approche nous semble fidèle à l’esprit « Wild Garden » cher à Jean Houzeau de Lehaie et nous agissons pour la conserver.
Toujours dans un souci de respect de l’environnement nous optimisons la gestion de nos ressources en eau grâce à une pratique culturale faisant appel à l’utilisation intensive de la technique du BRF (Bois Raméal Fragmenté). Ainsi tous les massifs sont désormais entretenus et aggradés (antonyme de dégradés – c’est le sol qui est enrichi et non la plante qui est nourrie la première année) grâce à des apports de BRF sur 5 cm d’épaisseur, ce qui nous permet des économies d’eau importantes, une fertilisation du sol sans engrais chimiques et un entretien des massifs sans désherbants. L’application du BRF sur les bosquets de bambous est en cours d’observation (le résultat sur les rosiers et hortensias est moins probant car le BRF crée un besoin d’azote la première année, il ne dispense pas de l’apport d’une fumure organique).
Depuis septembre 2008, notre fils Vladimir travaille à temps complet dans le parc. Mon arrivée récente à la retraite a permis d’accélérer son développement. Nous avons défini des projets d’aménagement pour les 3 ans à venir, esquissé un plan de gestion du parc ainsi qu’un schéma de circulation pour le public. Une parcelle ombragée de 7000 m² a été achetée en 200 et aménagée en parking à l’entrée des jardins.
Une collection de bambous
[...] tout bonheur est poésie essentiellement, et poésie veut dire action ; l'on n'aime guère un bonheur qui vous tombe ; on veut l'avoir fait. [...] Imaginez-vous un collectionneur qui n'aurait pas fait sa collection ?
Alain - Propos sur le bonheur, Folio-essais n°21 p.103
Comment s'est réalisée l'implantation de nos bambous ? Avec un peu d'imagination, des erreurs et beaucoup d' HDC (Huile De Coude) , d'enthousiasme et de satisfactions. En novice, nous n'avons pas résisté à l'envie d'avoir des Phyllostachys. Un premier passage dans le parc d'Anduze nous a permis de nous adonner à ce genre mais aussi de flirter avec mes premiers Semiarundinaria (Makino, Yashadake, Fastuosa). Puis nous nous sommes aperçus que deux excellents spécialistes de bambous avaient une pépinière de bambous depuis plus de trente ans en Vendée. G. Erieau de La Garnarche (près de Challans) et M. Paquereau à Foussais-Payré (près de Fontenay-le-Comte). Plutôt que de lister tous les bambous acquis à cette époque nous pouvons vous raconter quelques anecdotes à leur propos. Nous avons lamentablement échoué avec notre premier Phyllostachys edulis : l'excès d'humidité dans un sol pas suffisamment drainé en est la cause. C'est vexant lorsqu'on sait qu'à moins de trente kilomètres notre fidèle adhérent AEB France Roger Danot voit ses pousses monter à 17 mètres en deux mois (voir notre article « Un jardin enchanteur sur le bord de la Boulogne en Vendée » dans Bambou n°46). Deuxième échec : notre premier Phyllostachys nigra gr. henonis 'Boryana' est mort étouffé par un hiver trop humide... mais mon intuition me suggère que l'endroit précis n'est peut-être pas favorable aux plantes : J’y ai planté deux ans plus tard un Eucalyptus pauciflora ssp niphophila semé par Gérard Erieau à partir de graines prélevées par Roger Danot et il a dépéri à vue d’œil en moins d'une semaine, alors qu'il avait atteint 6 mètres de haut et était de toute beauté. Premiers enseignements tirés de ces liminaires expériences : 1 - dans un terrain susceptible d'être excessivement humide, ne planter qu'au printemps lorsque la terre s'est ressuyée comme on dit ici, drainer sans prendre le risque d'une excessive déshydratation estivale. 2 – pour le genre Phyllostachys nous plantons désormais que des sujets très enracinés dans des tontines de 100 litres. 3 - compte tenu de la nature du sol, il est souhaitable dans un certain nombre de cas de mixer drainage en talweg avec la réalisation de vallonnements. L'achat d'un matériel adéquate nous permet de paysager certaines parties de notre parc en concevant des monticules comparables à ceux d'un terrain de golf.
Il nous faut aussi composer avec le vent. Nous sommes dans une région particulièrement ventée (les bourrasques atteignent assez souvent 120 km/h). Certains Phyllostachys n'apprécient pas trop ces coups de tabac :nous sommes obligés par exemple d'haubaner le Phyllostachys viridis 'Robert Young' qui pousse très près de l'endroit maléfique ! Ici le sol est très drainant, mais ses rhizomes ne pénètrent pas suffisamment dans le sol et ses chaumes se balancent jusqu'au déterrement . Même chose pour le Phyllostachys vivax, les pousses de l'année ont atteint cette année six mètres, mais sous l'effet des pluies excessives de fin septembre et de plusieurs petites tempêtes nous avons dû abandonner quelques chaumes au grand bonheur de nos ânes. La conception d'un parc de bambous dans cette contrée suppose donc de prévoir en priorité la plantation de haies coupe-vent. Semiarundinaria Okuboi, Arundinaria linearis et A. hindsii remplissent bien cet office ainsi que Phyllostachys nigra gr. Henonis, et Phyllostachys bissetti. Toutefois, j'essaie de m'expliquer les raisons pour lesquelles ces deux derniers bien qu'ils soient tous les deux resplendissants ne se développent pas comme je pourrais l'espérer . Si ce n'est pas l'excès d'humidité qui gène le bambou de Bisset, en revanche celui du Dr Henon a subi jusqu'au printemps un excès d'humidité. Depuis, nous avons installé à proximité de son bosquet, un drain routier de 16 cm emmailloté. J'espère que le type de l'espèce nous réserve une belle surprise dans les années qui viennent car nous avons une admiration particulière pour ce bambou à petites feuilles vert luisant et l'altérité du Dr Henon.
Toujours dans le bambusetum Jean Houzeau de Lehaie plusieurs autres bambous se font écho, et sont plantés selon les conseils du maître : dans l'esprit jardin nature et sauvage (« Wild Garden ») les bambous doivent être suffisamment espacés (au moins 7 mètres entre chaque bosquet voire beaucoup plus). Nous essayons de ne pas reproduire « l'erreur » de nos premières plantations : imaginez nous avons planté à moins de 5 mètres d'un Phyllostachys aurea, un Phyllostachys nuda : en moins de 5 ans il a atteint plus de 25 m², mais quel bonheur ! il a irradié en forme d'une merveilleuse étoile et c'est décidé, Monique qui assure l'entretien des bosquets aura la possibilité en 2009 de prélever les turions pour nos premières dégustations ! Désormais, Phyllostachys bambusoides 'Castilloni' se tient à bonne distance avec mon nouveau Phyllostachys nigra gr. henonis 'Boryana'. Tous les deux sont placés, avec les nymphéas exotiques plantés à proximité dans un petit étang, sous l'égide de Bory de la Tour Marliac, ami de Jean Houzeau. Ce génial hybrideur de nymphéas était aussi, d'après Midford, le plus grand collectionneur de bambous de l'époque... . Nous sommes toujours en pâmoison devant le ruban vert internodal alterné de ce Ph. bambusoides dédié à ce féru de botanique (et de montgolfière ?) qu'était le Comte de Castillon. Semariadurinaria fastuosa et Pseudosasa japonica se développent également à ravir de façon sculpturale en isolé. Le bambou flèche nous va droit au cœur : d'abord parce que nous avons eu la chance d'en ramener un pied de 4 m lors d'une de nos visites à l'Ermitage. L'histoire et l’œuvre de son introducteur sont passionnantes et le rendent encore plus attractif lorsque nous l'associons avec l'Hydrangea Otaksa (voir dans notre site l'article sur Otaksa en tapant Otaksa dans le mode de recherche). Sur le bord d'une retenue d'eau devant alimenter une roue à aubes (en cours de fabrication au Vietnam) nous avons associé avec succès Pseudosasa japonica avec Arundinaria fortunei. En contre-plongée, le contraste du feuillage élevé et vert foncé du bambou flèche avec le couvre-sol panaché de l'Arudinaria ramené par Robert Fortune du Japon (lui aussi faisait à sa manière de l'intelligence service !) est une composition qui séduit notre regard. Nous avons essayé de deviner ce que Jean Houzeau avait préconisé comme petits bambous à Jean Monet pour sa propriété de Giverny (saviez-vous que c'est le vendéen Clemenceau qui avait suggéré à son ami impressionniste de planter des nymphéas à Giverny ?). A cet endroit où ressurgissent des sources (il nous a fallu trois mois pour les canaliser puis ériger les murets et 30 tonnes de matériaux), nous avons fait le choix de planter Ph. heteroclada et Arundinaria tecta (en fleur depuis 2007). L'Arundinaria a constamment les pieds dans l'eau et aussi dans une moindre mesure l'heteroclada à odeur d'encens dont les canaux aérifères remplissent bien leur fonction ; il semble cependant devenir envahissant. Compte-tenu de cette capacité à supporter une eau même stagnante pendant quelques semaines Monique a entrepris de semer – avec succès – ce bambou il y a 4 ans (graines en provenance de Pékin) mais la place manquera pour la plupart de nos rejetons ...
Arundinaria Ragamoski s'est bien développé auprès de la retenue d'eau : ses feuilles atteignent 50 cm de long et 10 cm de large : on comprend bien pourquoi les chinois l'utilisent pour envelopper du thé ! A l'expérience il est préférable de le planter à mi-ombre : ses feuilles seraient plus lustrées et plus vertes. Nos visiteurs sont intrigués par la forme sphérique de notre Shibatea kumasaka, et pourtant nous ne le taillons pas. Il supporte très bien une exposition en plein soleil et se marie bien avec des Acers palmatum (jaune et pourpre). Chimonobambusa marmorea est envahi par un chèvrefeuille indigène. Ses turions sont les derniers à sortir de l'année avec le risque de subir les premières gelées. Tout près de ce bras d'eau, à un endroit que nous appelons cromlech (Jacques a ramené des pierres de granit ovales de 200 kg à 400 kg d'un village voisin qui porte bien son nom : Beaulieu-sous-la-Roche et je les a disposées en cercle au milieu duquel une pompe fait jaillir 20 m3 d'eau à l'heure). Nous avons osé planter dans un argile très compact et gras un Sasa cernua nebulosa ; Monique le contient bien en tondant régulièrement les jeunes pousses. Nous avons à l'esprit bien sûr son risque d'envahissement : chez M. Mme Houzeau à l'Ermitage, il est un des 6 rescapés de collection de Jean, mais quelle vigueur, il court dans le sable .... sur plus de 3000 m² tout comme au Bois des Moutiers – mais quelle sensation d'exotisme ! J'ose affirmer qu'un vrai collectionneur de bambous ne peut pas se passer d'un Nebulosa ; nos maîtres ont tous succombé à son exubérance, Bory de la Tour Marliac, Eugène Mazel, Jean Houzeau et son complice bambousophile belge Henri Drion...
Nos petits préférés
Elegantissimus, un mot qui fait rêver
Le travers d'un jardinier-collectionneur c'est souvent d'avoir une préférence pour chacune de ses plantes ! Parmi toutes mes préférées j'ai une attention particulière pour Arundinaria argenteostriata 'Tsuboi'. Je n'aurai pas toute la poésie de Michel Bonfils lorsqu'il a un coup de cœur pour tel ou tel bambou, mais ce cultivar est un joyau de verdure : il est petit, coloré, et ses feuilles nettement striées se marient bien avec les roses , de surcroît il est peu envahissant (il en laisse pour les autres) mais notre regard ne peut pas l'ignorer. En contre-point Arundinaria Chino 'Angustifolia' peut se révéler plus discret. Et pourtant nous pouvons regretter, uniquement pour des raisons poétiques, que récemment le terme 'angustifolia' ait été retenucomme l'avait fait Jean Houzeau de Lehaie, plutôt qu 'elegantissimus' comme l'avait désigné son homologue nippon Makino. Mais il ne faut pas confondre poësie et nomenclature ! Cependant, pour le commun des mortels et l'oreille, il est peut-être plus évocateur de prononcer 'Elegantissimus' (c'est une des rares entorses que nous faisons actuellement à la nomenclature française des bambous !). Comme c'est évocateur ! Ici sous un chêne son feuillage est gracieux avec ses feuilles très étroites, alors que devant notre maison, dans un bosquet qui reçoit une partie des eaux des toitures il est d'une élégance inégalée (fort contraste des stries et la largeur des feuilles atteint un cm). A ce propos nous terminerons ce tour des grands classiques par une épithète bien connue 'Spectabilis', oui vous avez peut-être deviné Ph. aureosulcata 'Spectabilis'. Celui qui est privé de la vue est susceptible de le reconnaître au toucher parmi des centaines : la peau du chaume est comme une langue de chat. Quelle joie de voir évoluer ses couleurs au fil des saisons : il sait se mettre en scène, parfois en zigzaguant, matutinalement en prenant des aspects vernissés avec la rosée. Aux couleurs printanières lie-de-vin des nouveaux chaumes succèdent dans le temps le jaune doré orné du sillon vif internodal. C'est un des rares bambous que nous avons achetés dans un supermarché (« que celui qui n'a jamais péché ... »). De surcroît nous avons aggravé notre cas pour trois raisons : il était étiqueté « Bambusa jaune » (!!!), ses rhizomes faisaient éclater le pot de 20L, et nous avons pris pitié de lui comme un enfant visitant la Spa : il était tout déshydraté par ce mois de décembre 2003 mais beau. Notre inexpérience nous l'a fait baptiser Ph. aureosulcata 'aureocaulis' (jusqu'au jour où nous avons délibérément acheté un 'Spectabilis' chez un de nos pépiniéristes patentés !). Le lendemain de mon achat au supermarché, j'ai démêlé un chignon de rhizomes de plus 6 mètres de long que j'ai trempé pendant deux jours dans l'étang puis divisé en une douzaine de plans. Mes amis des quatre coins de la France me disent tous combien leur 'Spectabilis' se développe à merveille, y compris dès la première année et ne tarissent pas d'éloges à son égard. Désormais je dois apprendre à faire une sélection des chaumes au moment de la pousse afin qu'ils deviennent de plus en plus forts et encore plus spectaculaires à la manière de Jos Dick ou de Jos Van der Palen !
D'autres Phyllostachys ont été plantés dans une jeune forêt : certains dans une perspective gastronomique, d'autres dans un but artisanal ou tout simplement pour en faire de beaux bosquets : il ne m'est pas possible de tous les citer mais je peux évoquer rapidement Phyllostachys dulcis qui est vraiment chez nous une réussite, il aime les terrains frais et ses chaumes vert olive avec leur délicate pruine sont un ravissement. Le développement de Ph. Meyeri et Ph. Praecox se fait attendre alors qu'ils sont dans une terre drainante. En revanche Ph. aureosulcata 'Alata' devient très traçant même sous le couvert des chênes et des acacias. J'y ai implanté également Chusquea gigantea, Chimonobambusa tumidissinoda, Ch. Quadrangularis, Semiarundinaria Yashadake 'kimmei' lequel devient assez traçant.
Deux observations in fine sur le Bambusetum : vus de loin tous les bosquets de Phyllostachys se démarquent bien actuellement et notre objectif reste de maintenir la bonne distance entre eux afin d'éviter la confusion et l'effet forêt.
Dans la Vallée perdue, le long d'une allée qui borde le trop-plein des bassins des Nymphes, nous avons planté une série de Phyllostachys : Ph. rubrmarginata, Ph. vivax 'Huangwenzhu' (beau sujet de chez Michel Bonfils) en plein développement, Ph. arcana 'Luteosulcata', et Ph. viridis 'Houzeau' dédié par McClure en 1956 à Jean Houzeau de Lehaie.
Pour l'anecdote, en 2007, j'ai eu le plaisir de planter une division de Phyllostachys viridis 'Houzeau' juste devant le logis de l'Ermitage où résidait Jean. Ce jour là, sur la table de la bibliothèque où Jean avait étudié, comme l'avait fait son père Auguste, et son oncle le grand astronome Charles Houzeau de Lehaie, j'ai eu le bonheur de lire la plaquette sur les Phyllostachys que lui avait envoyé Mickey (c'est le surnom amical donné par ses collègues à Floyd Allonso McClure !). Dans la Vallée perdu il me plait d'observer mon 'Houzeau' en pensant que son dédicataire n'a jamais vu ce bambou qui porte son nom. L'humilité, la modestie et la sagesse ont toujours été plus fortes que l'orgueil chez Jean Houzeau de Lehaie. S'il n'était pas insensible à la considération que pouvait lui témoigner des savants tels que F. A. McClure, il était tout à fait indifférents aux honneurs. Le choix du bambou comme sujet d'étude tout au long de sa vie n'était pas le fruit du hasard : symbole de la droiture et de la modestie, le bambou pourrait bien figurer dans son blason des Houzeau !
Petits bambous de Chine
L'année dernière nous sommes entrés dans une nouvelle phase de développement de la collection ; à un relatif ralentissement de l'introduction de Phyllostachys marqué par l'arrivée sélective de plants cultivés par mon ami Herman de Swert (Ph. Makino recherché depuis des lustres, Ph. nigra gr. Henonis 'Meguroshiku' et Ph. nigra gr. Henonis 'Fulva' ) correspond un intérêt particulier pour les bambous himalayens et chinois cespiteux. Cette diversification des genres est motivée pour des raisons pédagogiques et esthétiques. Je suis toujours attristé d'entendre les sempiternels avertissements de nos invités ou experts en évaluation de parcs. « Oui mais vous savez, soyez prudents », « Je vous préviens vous allez être envahis et dépassés, tenez l'autre jour mon voisin a été obligé de faire venir une pelleteuse », ou encore « il a fallu déverser des tonnes de désherbant ». Les bambous seraient-ils comme les autoroutes, on les aime bien mais à condition qu'ils ne passent pas dans notre jardin ? Aussi, pour vaincre les peurs de certains visiteurs, rien de mieux que de planter des bambous cespiteux et modérément . Traçants. Monsieur Lepage (pépiniériste angevin bien connu) nous a suggéré de réaliser un petit jardin de démonstration de bambous non-traçants. En attendant, en alternance avec d'autres arbustes et vivaces Le chemin vert de la Renaîtrie et les terrasses Herman et Jos accueillent une belle collection de Fargesia, Thamnocalamus, Yushania et Indocalamus. Je citerai spontanément sans exhaustivité Yushania scabrida, Y. brevipaniculata 'wolong' pour leur feuillage en forme de panache, Y. ferax et Fargesia utilis pour leur puissance et Y. maculata pour les couleurs alternées de ses chaumes : la couleur chocolat des gaines persistantes contraste nettement avec le vert glauque cendré de pruine du chaume : on dirait des baguettes de Mikado. Plusieurs Thamnocalamus nitida sont en fleurs ('nymphenburg' 'nitidus' 'de Belder'). Nous avons ramené de l'Ermitage des semis de T. nitidus. Il avait déjà fleuri il y a environ110 ans. T. Dracocephalus et robustus 'pingwu' sont désormais bien implantés près d'une cascade qui alimente les bassins des nymphéas. Himalayacalamus asper – Stapleton est utilisé assez largement pour composer nos massifs, quelle que soit la rigueur de l'hiver le feuillage disparaît complètement comme celui des graminées mais la Princesse tibétaine réapparaît à chaque fin de printemps. Last but not least, il est difficile de passer sous silence Fargesia sp Jiuzhaigou 1, 5, 9, 11. Ils ont en commun la délicatesse des peintures chinoises traditionnelles. Les « chaumes de couleur acajou foncé parfois nuancée de rouge et de rose » (catalogue de Planbuisson p. 22) a de quoi rallier tous les avis de nos visiteurs. Ce Fargesia est un délicat mais grand séducteur !
Jardins et dédicaces
Au terme de ce petit tour de parc, vous pourriez vous demander pourquoi nous dédions nos espaces à des personnages ou des amis. Ceux-ci nous apportent l’énergie pour avancer quotidiennement. La perspective stimulante de continuer à rencontrer d’autres passionnés et amateurs de bambous et de paysages nous fait aussi oublier la dureté des travaux et nos incertitudes.
J. C. La Mancelière, 1er février 2009.